Printemps 2019

« Objectif ratios : on passe à l’action! »

Les 2 et 3 mai derniers a eu lieu au Château Bromont la toute première édition du Réseau en Organisation du travail et Pratique professionnelle (OTPP) de la FIQ. C’est avec enthousiasme que plus de 200 participantes ont répondu à l’invitation, démontrant l’ampleur de la mobilisation autour de ces enjeux.

Sous le thème « Objectif ratios : on passe à l’action! », les militantes ont assisté à différentes présentations et conférences traitant d’actions collectives et syndicales contre la surcharge au travail et le fardeau de tâche. L’objectif de ces actions est de déployer partout au Québec des ratios sécuritaires, grâce à des professionnelles en soins mobilisées au niveau local, qui s’impliquent notamment dans le comité de soins de
leurs établissements.

Les participantes au Réseau ont ainsi eu l’opportunité d’acquérir des connaissances, de s’outiller et de prendre le temps d’amorcer une réflexion collective sur la pertinence de prendre en charge localement l’organisation du travail.

Cet évènement de réseautage et de formation – bâti sur les modèles du Réseau des jeunes et du Réseau des femmes, connus et appréciés des militantes de la FIQ – était le premier volet d’un projet pilote de trois Réseaux, adopté lors du dernier congrès. Au terme du projet, selon l’évaluation qui lui sera partagée au congrès de 2021, la délégation déterminera la pertinence de rendre le Réseau permanent.

Les ratios sécuritaires professionnelles en soins/patient-e-s : permettre une pratique professionnelle en accord avec nos valeurs

D’entrée de jeu, lors du Réseau OTPP des 2 et 3 mai derniers, les militantes ont pris le temps de réfléchir à leur pratique professionnelle, en lien avec les ratios sécuritaires professionnelles en soins/patient-e-s.
Les réformes successives et les pratiques de gestion empruntées à l’industrie ont entraîné une précarisation des emplois et une surcharge de travail, en plus du recours abusif au temps supplémentaire obligatoire (TSO), de l’utilisation endémique de la substitution des titres d’emploi et du non-remplacement des absences. Les impacts négatifs des équipes épuisées et en sous-effectifs sont nombreux : stress, insatisfaction, blessures et accidents du travail plus fréquents. Ces phénomènes ont un impact autant sur la santé et sécurité des professionnelles en soins que sur celles de leurs patient-e-s. L’ensemble de ces facteurs sont à l’origine des problèmes d’attraction et de rétention du personnel du réseau de la santé.

Les professionnelles en soins vivent de la détresse lorsqu’elles prennent conscience de l’écart qui se creuse entre leurs compétences et leurs valeurs professionnelles et les soins qu’elles peuvent réellement dispenser dans ce contexte de travail difficile. Elles sont alors forcées de prioriser, bien malgré elles, certains soins au détriment d’autres soins, que l’on qualifie de « non faits ».

Un sondage québécois a démontré que de nombreux soins ne peuvent être dispensés ou encore, qu’ils sont dispensés partiellement ou trop rapidement à cause de la surcharge de travail. Or, les professionnelles en soins ne devraient pas avoir à faire des choix déchirants dans les soins dispensés. Elles sont ainsi incapables d’occuper leur plein champ de pratique.

Même si les professionnelles en soins ont à coeur de dispenser les meilleurs soins possible, le droit de la population à recevoir des soins sécuritaires est compromis. Grâce aux ratios sécuritaires, soit la présence d’une équipe minimale de professionnelles en soins pour un groupe de patient-e-s ayant des problèmes de santé similaires, les professionnelles en soins pourront enfin bénéficier de conditions d’exercice propices à une pratique professionnelle pleine et enrichissante.

Le projet de ratios sécuritaires est non seulement une revendication syndicale, mais aussi une revendication sociale. Faire connaître les impacts des mauvaises pratiques de gestion à la population est essentiel, dans une optique d’advocacy; c’est-à-dire de défense et de promotion des droits et des intérêts des patient-e-s.

La véritable pénurie que connaît le réseau de la santé est une pénurie de bonnes conditions d’exercice permettant une pratique professionnelle riche et épanouissante. Les ratios sécuritaires ont fait leurs preuves ailleurs dans le monde et ici même au Québec, les projets ratios ont des impacts positifs.
Le Québec doit se doter d’une loi sur les ratios le plus rapidement possible puisqu’il s’agit d’une solution viable pour le système de santé québécois, qui permettra de sauver des vies, d’accélérer la guérison et de respecter la dignité des patient-e-s.

Une implantation graduelle et soigneusement planifiée des ratios partout dans la province permettra de retenir les professionnelles en soins dans le réseau, de les garder en santé, d’attirer de nouvelles recrues, de rehausser la qualité des soins, de regagner la confiance
de la population, et, enfin, de dénouer l’impasse dans laquelle se trouve le réseau public de santé.

Organisations toxiques : vers la normalisation de la dénonciation dans les milieux de soins

Pour clore la première journée du Réseau OTPP, les participantes ont accueilli Amélie Perron, infirmière, PhD et professeure en sciences infirmières à l’Université d’Ottawa, pour discuter de la nécessité de normaliser la dénonciation dans les milieux de soins, par exemple en utilisant systématiquement le Formulaire de soins sécuritaires. Cette présentation très appréciée se voulait une invitation à considérer les actes de dénonciation comme une action collective et à les utiliser sur une base régulière dans la pratique syndicale.

« Les pratiques de soins sécuritaires et de qualité sont fortement représentées comme étant le fruit de compétences professionnelles adéquates à jour et conformes aux normes de pratiques émises par les ordres professionnels, a expliqué madame Perron. Or, ces compétences tendent à être principalement associées à des techniques d’évaluation et de soin exercées directement auprès des patient-e-s. Pourtant, des soins de qualité et sécuritaires passent également par des actions infirmières dirigées spécifiquement vers les organisations et leurs administrateurs, voire vers des entités externes en milieux de soins. »

Selon la professeure, « la dénonciation constitue notamment une forme de pratique professionnelle qui demeure encore mal comprise, malaisée, peu ou pas enseignée dans les programmes de formation et souvent mal appréciée par les administrateurs des milieux ».

Pourtant, la dénonciation est aussi un outil d’action politique. Madame Perron a ainsi identifié la manière dont la dénonciation est abordée dans d’autres industries (celle de l’aviation notamment) et a exploré des pistes d’action pour s’engager de manière collective dans cette forme distincte de pratique.

Les six critères d’un fardeau de tâches et le Formulaire de soins sécuritaires : des leviers à connaître pour agir localement en organisation du travail

Trouver des solutions à la surcharge de travail des professionnelles en soins est un enjeu prioritaire pour la FIQ. Prévu aux dispositions nationales de la convention collective FIQ, le comité de soins est un lieu tout indiqué pour discuter localement des problématiques d’organisation du travail et des plaintes liées au fardeau de tâches. Mais encore faut-il savoir de quelle façon et avec quels outils il est possible de collecter des informations pour utiliser efficacement le comité de soins.

Les militantes ont reçu un guide explicatif pour faciliter la collecte et l’analyse de données autour de six critères définissant le fardeau de tâches. Ce guide permet de documenter la charge de travail et d’établir, à chaque quart de travail, le nombre et la répartition des effectifs en soins infirmiers présents (incluant le nombre et le type de patient-e-s). Il permet
de mettre en lumière des situations inacceptables vécues par les professionnelles en soins.

  • Voici les 6 critères d’un fardeau de tâches :
  • Incapacité fréquente et continue d’accomplir toutes les tâches dans le quart
  • Empiétement fréquent sur le temps normalement réservé au repos
  • Régularité et augmentation du recours au travail en heures supplémentaires
  • Nécessité de faire des compromis sur les standards, les normes professionnelles et la qualité des soins
  • Comparaison avec les autres professionnelles en soins exécutant des tâches similaires, dans le même département, durant les autres quarts de travail
  • Fatigue excessive engendrée par les conditions d’exercice de la tâche.

Réunies en tables rondes, les militantes ont également participé à un atelier pratique sur le Formulaire de soins sécuritaires (FSS) leur permettant de mettre en pratique l’utilisation de ce guide.

Cet exercice visait à mettre en pratique leurs apprentissages, et à relier les six critères d’un fardeau de tâches au formulaire de soins sécuritaires, pour ultimement recueillir des informations visant à documenter la preuve sur un éventuel fardeau de tâches et développer un argumentaire solide dans tout dossier d’organisation du travail.

La FIQ rappelle l’importance pour les membres de remplir le formulaire de soins sécuritaires en ligne pour permettre aux syndicats et à la FIQ de conduire des actions pour améliorer les conditions de pratique professionnelle et la sécurité des soins offerts aux patient-e-s.

Un exemple d’advocacy collective, syndicale et professionnelle

Le Centre d’hébergement Denis-Benjamin-Viger de L’Île-Bizard est tristement connu pour son incapacité à offrir des soins de qualité aux patient-e-s à cause d’un manque criant de personnel et de la surcharge de travail. Dès 2016, une équipe de la FIQ avait signalé les lacunes à l’employeur de l’établissement, mais ses demandes sont restées lettre morte, même après un rapport d’expert accablant et la décision d’un arbitre. Le dossier est toujours devant les tribunaux.

Cette démarche syndicale fut riche, à la fois en défis et en initiatives. Un panel aux couleurs de la FIQ a profité du premier Réseau OTPP pour partager son expérience et rappeler les différentes étapes du processus. Les conseillères syndicales et militantes Elizabeth Rich, Nancy Moss, Johanne Riendeau et Marie-Claudel Mathieu ont détaillé les revendications, les actions légales, de mobilisation et de communication, qu’elles ont dû planifier pour maintenir la pression syndicale autour des enjeux professionnels du comité de soins de ce centre d’hébergement.

Au fil de la présentation, les participantes ont compris la nécessité de saisir toutes les occasions pour partager les constats désastreux de leurs conditions d’exercices et de la mauvaise qualité des soins dans le réseau de la santé et des services sociaux.

Dans le cas bien précis du Centre d’hébergement Denis-Benjamin-Viger, il était impossible pour l’équipe en place de répondre aux besoins essentiels des patient-e-s. Par exemple, les professionnelles en soins, en nombre insuffisant, ne pouvaient offrir une aide à l’alimentation suffisante ni d’assurer l’ensemble des soins d’hygiène et infirmiers à la hauteur des besoins des patient-e-s. Ces constats furent validés par plusieurs intervenant-e-s et organismes, dont une experte en organisation des soins et docteure en soins infirmiers, la CNESST et l’OIIQ.

Ce dossier témoigne des démarches importantes de la FIQ en matière d’organisation du travail et montre la voie à suivre quant aux actions syndicales qui devront être intégrées à la lutte pour obtenir des ratios professionnelles en soins/patient-e-s sécuritaires et de qualité partout au Québec.

Développer un discours mobilisant sur les ratios et passer à l’action

La dernière présentation du Réseau a permis aux participantes de déployer leurs talents argumentaires et leur capacité de mobilisation. Mises en situation exposant les principaux arguments amenés par les détracteurs des ratios, improvisations chronométrées pour répondre à des animatrices coriaces jouant le rôle de professionnelles en soins, de citoyens et citoyennes ou d’employeurs récalcitrants, le défi était stimulant !

Cet exercice dynamique a permis aux participantes de discuter des ratios de manière convaincante pour être en mesure, dans leurs milieux, de sensibiliser les professionnelles en soins, la population en générale et les gestionnaires sur l’importance que revêt la lutte pour des ratios sécuritaires, non seulement pour le réseau de la santé, mais pour toute la société québécoise.

Les participantes ont finalement allié théorie et pratique afin d’être en mesure d’élaborer un plan d’action, construire un rapport de force et identifier les lieux d‘intervention au niveau local. Dans la bataille pour des ratios sécuritaires, il ne fait aucun doute que l’action et la mobilisation locales seront au coeur de la stratégie de la FIQ.