Isabelle Groulx
Vice-présidente inhalothérapeute et responsable politique du secteur Santé et Sécurité du travail
Au cours des 25 dernières années, le réseau de la santé a subi de nombreuses réformes, bouleversant profondément votre travail quotidien de professionnelle en soins. Nous vivons une autre transformation majeure avec la réforme Dubé et la mise en œuvre de la Loi visant à rendre le système de santé plus efficace, notamment par la création de Santé Québec et la centralisation des employeurs. Cette orientation vers une supposée efficacité du réseau est en décalage avec votre pratique professionnelle. Elle met l’accent sur les aspects administratifs et organisationnels au détriment de votre expertise professionnelle et de votre santé.
Travailler sous pression, faire plus avec moins et perdre vos repères pour vous adapter constamment à toutes ces réformes est un défi qui a inévitablement des effets sur votre santé et votre sécurité! Vous n’êtes pas toujours en mesure d’identifier simultanément les facteurs de risques pour agir en prévention, de dénoncer les situations potentiellement dangereuses et de demander le respect de vos droits que vous confèrent pourtant les lois applicables en santé et sécurité du travail.
Ces changements ont engagé les établissements de santé vers une logique organisationnelle de performance économique et de productivité , parfois au détriment de la qualité, de la sécurité des soins et de la personnalisation de la prise en charge des patientes et des patients. Ainsi, vous faites face à des exigences parfois contradictoires avec vos valeurs professionnelles, ce qui conduit progressivement à une diminution de la reconnaissance de votre profession, en vous orientant vers un rôle plus technique et en réduisant votre jugement professionnel et clinique ainsi que les aspects humains de votre pratique.
Depuis les années 1990, les politiques de modernisation telles que le Lean management et la tarification à l’activité ont remis en question les pratiques et les objectifs des établissements de santé. À une époque où les lésions professionnelles et les risques psychosociaux atteignent des sommets, les conséquences sur la santé et la sécurité des professionnelles en soins sont préoccupantes. Il est crucial de prendre conscience de ces enjeux et de se protéger. Malgré la pression accrue, maintenir un sens au travail, ancré dans les relations humaines, devient essentiel. Après la crise sanitaire de la COVID-19, qui a mis en lumière la fragilité de notre réseau public, les professionnelles en soins attendaient une réforme visant à améliorer les conditions d’exercice, le bien-être au travail ainsi que la santé et la sécurité au travail. Cette réforme n’est jamais arrivée.
Face à l’émergence de problématiques de santé mentale, il est urgent de reconsidérer les approches basées sur la préservation de la santé psychologique. Les défis et les pressions à court, moyen et long terme découlant de la mise en place d’un réseau de santé hypercentralisé autour de Santé Québec, nous obligent à prendre en charge de manière urgente la santé psychologique au travail, en commençant par la prévention des risques psychosociaux. Heureusement, la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail permet enfin de réels mécanismes de prévention et de participation.
Il ne tient qu’à nous de saisir cette occasion pour faire valoir nos droits. La semaine SST 2024 a pour thème « Secousses annoncées, prévention exigée ». Ce thème démontre bien que devant nos appréhensions légitimes, la prévention, particulièrement celle en lien avec la santé psychologique, devra être la clé maîtresse de nos actions en santé et sécurité afin de contrecarrer les impacts néfastes de cette nouvelle réforme.
Dans cette page, vous retrouvez les principaux indicateurs de risques psychosociaux et les concepts associés à la santé psychologique en milieu de travail. Ensemble, agissons pour exiger la prévention!
Bonne semaine SST à toutes!
Quelles sont les secousses?
La FIQ a la ferme conviction que les multiples réformes dans le réseau de la santé ont mis à mal ce dernier, tant pour les patientes et les patients que pour les professionnelles en soins. Depuis longtemps, il est connu que la prévention en matière de santé et sécurité doit se faire localement pour déployer son efficacité. La réforme Dubé provoquera, sans nul doute, un éloignement des décideurs des réalités des milieux de soins par la création de la mégastructure Santé Québec. D’ailleurs, d’une réforme à l’autre, la quantité de lésions professionnelles est toujours en croissance. En agrandissant encore les structures, on s’éloigne de la prévention. En quoi cette ultime fusion serait-elle différente?
La FIQ appréhende plusieurs secousses liées à la santé mentale, particulièrement quant au stress au travail pour les professionnelles en soins qui vivront ces changements. Il est primordial de rester vigilantes quant aux risques que ces changements auront sur les travailleuses. Il sera d’autant plus important qu’une culture de prévention émerge de la Loi modernisant le régime en santé et de sécurité du travail. Les nouveaux mécanismes de prévention et de participation pourront, espérons-le, avoir pour effet de pallier les conséquences de cette réforme. Toutes auront leur place dans cette nouvelle culture qui reste à bâtir malgré la tourmente.
Vous êtes invitées à découvrir plus d’informations sur les risques psychosociaux. Être en mesure de les identifier s’avère une clé importante pour prévenir et sécuriser les milieux de travail en période de grands bouleversements.
Qu’est-ce que la santé psychologique au travail et quels sont ses concepts clés?
L’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST) définit la santé psychologique au travail comme étant « caractérisé par un fonctionnement harmonieux et efficace, permettant à une personne de faire face aux défis avec souplesse et de retrouver son équilibre. Elle est influencée par les composantes associées au travail, les caractéristiques individuelles et l’environnement social ».
Terminologies et concepts associés :
- Risques psychosociaux : Réfère aux aspects de l’organisation du travail et de la gestion ainsi qu’au contexte social et environnemental pouvant nuire à la santé sociale, psychologique et physique des travailleuses.
- Bien-être au travail : Englobe la satisfaction, la motivation et le plaisir au travail, reflétant un état de confort et de satisfaction globale.
- Santé globale : Définie par l’Organisation mondiale de la santé comme un état complet de bien-être physique, mental et social.
- Stress au travail : Se manifeste lorsque les exigences de l’environnement de travail dépassent les capacités de l’individu à y faire face, menaçant ainsi son bien-être.
Source : https://www.irsst.qc.ca/media/documents/PubIRSST/RG-618.pdf
Saviez-vous que?
L’exposition aux risques psychosociaux entraîne du stress au travail qui peut devenir pathologique et néfaste pour la santé.
Les mécanismes du stress au travail – Courte vidéo éducative de l’INRS France !
Pour en savoir plus :
1 – Contexte de l’organisation et mesures de prévention en place
Éléments à considérer :
- Contexte de travail et d’emploi: Analyse du contexte général et des conditions d’emploi.
- Absentéisme maladie et présentéisme: Évaluation des absences pour maladie et de la présence malgré des conditions de santé compromises.
- Activités ou politique de santé au travail: Mesures pour promouvoir la santé et le bien-être du personnel.
- Activités ou politique contre la violence et le harcèlement: Stratégies pour prévenir et gérer les situations de violence et de harcèlement au travail.
- Activités ou politique de retour au travail: Pratiques facilitant le retour au travail après une absence prolongée.
- Activités ou politique de conciliation, travail et vie personnelle: Initiatives pour favoriser un équilibre sain entre obligations professionnelles et personnelles.
2 – Composantes clés de l’organisation du travail
Voici les différentes composantes de l’organisation du travail qui ont un impact sur la santé au travail :
- Charge de travail: Évaluation de la charge de travail et de sa répartition équitable.
- Reconnaissance au travail: Mesures pour reconnaître et valoriser les contributions du personnel.
- Soutien social du supérieur immédiat: Importance du soutien et de la guidance offerts par les superviseurs directs.
- Soutien social des collègues: Collaboration et soutien entre les membres d’une équipe.
- Autonomie décisionnelle: Possibilité pour le personnel de prendre des décisions et de contrôler leur travail.
- Information et communication: Flux d’information et qualité de la communication au sein de l’organisation.
Ces indicateurs jouent un rôle crucial dans la promotion d’un environnement de travail sain, « productif » et respectueux, tout en soutenant le bien-être du personnel.
Contexte de travail
Le premier indicateur de la grille vise à évaluer l’insécurité d’emploi et les changements organisationnels en cours ou prévus qui menacent les emplois. Les organisations adoptent des réorganisations, restructurations, fusions, délocalisations, nouveaux modes de management et outils technologiques pour s’adapter aux marchés, ce qui impacte le contexte de travail et d’emploi. Ces changements, présents dans les secteurs privé et public, intensifient souvent le travail et précarisent les emplois, affectant ainsi la santé et la sécurité des travailleuses et des travailleurs.
Indicateurs d’insécurité d’emploi :
- Abolition de postes
- Mises à pied en cours ou prévues
- Recours fréquent à des agences d’emploi et à la sous-traitance
- Postes temporaires ou occasionnels
- Travail intermittent
La précarité en emploi est liée à une augmentation des risques d’accidents de travail et des problèmes de santé psychologique, musculosquelettique et cardiaque.
Importance du contexte de travail
L’Enquête québécoise sur des conditions de travail, d’emploi, de santé et de sécurité du travail (EQCOTESST) révèle que les horaires irréguliers et imprévisibles compliquent la conciliation entre vie professionnelle et personnelle, comme cela survient pour les professionnelles en soins notamment dans le cas de quarts de travail en temps supplémentaire obligatoire.
Pratiques à privilégier
Cependant, des mesures concrètes peuvent être prises pour améliorer la situation :
- Créer des postes permanents et limiter les postes temporaires et occasionnels.
- Accorder un droit de priorité aux employés pour le placement sur des postes vacants.
- Réduire le recours à la sous-traitance et aux agences de placement temporaire.
- Planifier le travail de manière à améliorer la stabilité de l’emploi.
Source :
CLOUTIER, E., LIPPEL, K., BOULIANNE, N., & BOIVIN, J.-F. (2011). Description des conditions de travail et d’emploi au Québec. EQCOTESST, Institut national de santé publique du Québec et Institut de la statistique du Québec.
Prévention exigée
Pour assurer une réelle prise en charge de la prévention, il faut d’abord faire une évaluation des risques. Dans le cas de la Réforme Dubé, l’évaluation des environnements de travail par l’identification des risques psychosociaux repose sur l’utilisation de plusieurs indicateurs clés, regroupés en deux principales grandes catégories : le contexte de l’organisation et des mesures de prévention en place ainsi que les composantes fondamentales de l’organisation du travail. Ces indicateurs facilitent l’analyse des différentes catégories de risques psychosociaux, en se concentrant sur les aspects suivants.
La FIQ fait le constat que les absences ne sont pas uniquement dues à une pénurie de main-d’œuvre comme le mentionne le gouvernement. Plusieurs phénomènes expliqueraient les absences et les départs précipités des professionnelles en soins, notamment, le manque de prise en charge de la prévention en santé au travail. Pour en savoir plus sur les phénomènes de l’absentéisme et du présentéisme, cliquez sur les encadrés plus bas.
Définition et importance
L’absentéisme et le présentéisme sont des indicateurs essentiels de la santé psychologique dans une entreprise. Ils reflètent les politiques et les pratiques mises en place pour protéger le bien-être du personnel. Un faible taux d’absentéisme et de présentéisme indique un environnement de travail sain tandis qu’un taux élevé peut signaler des risques psychosociaux.
L’absentéisme
L’absentéisme se réfère aux absences des employées et des employés pour des raisons de santé.
- En 2011, selon Statistiques Canada, 8,1 % des travailleuses et des travailleurs à temps plein s’absentaient chaque semaine pour des raisons personnelles, dont 5,9 % pour maladie ou incapacité. En 2018, le ratio d’absentéisme était en hausse due principalement à l’assurance salaire.[1]
- Au cours des années qui ont suivi la fusion des établissements (réforme Barette), un taux d’absentéisme en hausse a été mesuré dans le réseau de la santé et des services sociaux.[2]
- L’absentéisme maladie se mesure par la fréquence (nombre d’épisodes d’absence pour des raisons de santé au cours des 12 derniers mois) et la gravité (nombre de jours d’absence pour des raisons de santé pendant les 12 derniers mois).
Le présentéisme
Le présentéisme se manifeste lorsque les employées et les employés se rendent au travail malgré une maladie qui nécessiterait du repos.
- Comportements associés : irritabilité, fatigue accrue, augmentation des erreurs, problèmes de ponctualité et baisse de la qualité du travail.
- Groupes à risque : travailleuses et travailleurs des secteurs émotionnellement exigeants (santé, services sociaux, éducation), celles et ceux en situation d’insécurité d’emploi, autonomes, et travaillant plus de 50 heures par semaine.
Impact sur la santé du personnel
Les conséquences de l’absentéisme et du présentéisme vont au-delà des coûts financiers, touchant également à la santé publique.
- Le présentéisme, en empêchant le repos nécessaire, augmente le risque d’absentéisme futur.
- Les problèmes de santé mentale, comme la dépression et l’anxiété, sont liés à des taux élevés d’absentéisme et de présentéisme et entraînent un fort roulement du personnel.
- Les maladies coronariennes sont deux fois plus fréquentes chez ceux qui pratiquent le présentéisme par rapport à ceux avec un absentéisme modéré.
Pour améliorer ces indicateurs, les organisations peuvent mettre en œuvre les pratiques suivantes :
- Évaluation
-
- Mesurer les taux d’absentéisme : fréquence, gravité, diagnostics, causes, secteurs ou catégories d’emploi touchés et n’hésitez pas à en faire la demande auprès de votre employeur.
- Identifier les absences et le présentéisme attribuables au travail.
- Actions correctives
-
- Mettre en place des actions correctives : formation, réaffectation ou allègement des tâches pour agir sur les facteurs associés aux absences et au présentéisme.
- Réduction des risques psychosociaux
-
- Augmenter le soutien social.
- Offrir de la reconnaissance.
- Accroître l’autonomie des employées et des employés.
- Réduire la charge de travail.
Sources :
STATISTIQUES CANADA (2012). Taux d’absence du travail, no 71-211-X.
ARONSSON, G., GUSTAFSSON, K., & DALLNER, M. (2000). Sick but yet at work. An empirical study of sickness presenteeism, Journal of Epidemiology Community Health, 54, 502-509.
VÉZINA, M., CLOUTIER, E., STOCK, S., LIPPEL, K., FORTIN, É., et autres. (2011). Enquête québécoise sur des conditions de travail, d’emploi, et de santé et de sécurité du travail (EQCOTESST), Québec, INSPQ – IRSST – ISQ.
Définition et importance
La prévention en santé au travail est cruciale pour évaluer et renforcer les efforts d’une organisation visant à protéger la santé, notamment psychologique, de son personnel. Cette évaluation, guidée par des grilles spécifiques, aide à déterminer les moyens mis en place et les efforts fournis par l’entreprise pour promouvoir un environnement de travail sain.
Types de prévention
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la prévention inclut toutes les actions visant à promouvoir la santé individuelle et collective. On distingue trois types d’actions préventives :
- Prévention primaire
-
- Objectif : Éviter l’apparition de la maladie en agissant sur ses causes.
- Exemple : Un comité paritaire qui identifie et gère les risques psychosociaux.
- Prévention secondaire
-
- Objectif : Intervenir à un stade précoce de la maladie pour une prise en charge efficace.
- Exemple : Activités de sensibilisation sur la santé psychologique pour les employées et les employés.
- Prévention tertiaire
-
- Objectif : Réduire les récidives, les incapacités et limiter les complications d’une maladie.
- Exemple : Programme de retour au travail après une absence pour maladie.
Importance de la prévention
L’engagement dans des activités préventives reflète la culture et les valeurs d’une entreprise. Un programme intégré de santé, couvrant les trois types de prévention, peut réduire les absences et améliorer la santé des travailleuses et des travailleurs.
- Prévention primaire : Agit directement sur les causes du stress pour réduire les impacts négatifs sur la santé mentale, offrant des effets durables.
- Prévention secondaire : Aide les travailleuses et les travailleurs à s’adapter à leur environnement de travail en développant des compétences pour gérer le stress.
- Prévention tertiaire : Cible les conséquences des problèmes de santé mentale, offrant des traitements et des services pour diminuer le risque de rechute.
Plus un milieu de travail investit dans la prévention primaire, plus elle est efficace pour prévenir les risques psychosociaux au travail.
De plus, la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail (LMRSST) prévoit l’obligation de nommer des responsables ainsi que des comités en santé et sécurité. Ces dispositions de la LMRSST offrent une opportunité pour les travailleuses et les travailleurs de tous les titres d’emploi de jouer un rôle déterminant dans la prise en charge de la prévention primaire. Pour la FIQ, le fait que des professionnelles en soins, qui connaissent mieux que personne leur environnement de travail, puissent effectuer notamment l’analyse des risques tant pour la santé physique que pour la santé psychologique est prometteur.
Concernant les pratiques recommandées pour avoir un impact positif sur la santé au travail, les employeurs peuvent adopter les pratiques suivantes :
- Actions préventives : Mise en place de mesures aux trois niveaux de prévention, en privilégiant la prévention primaire.
- Comité de santé et de sécurité : Présence d’un comité actif, paritaire et reconnu au sein de l’organisation.
- Évaluation des risques : Identification et réduction des facteurs de risque psychosociaux avec des plans d’action.
- Amélioration de l’organisation : Activités visant à améliorer les composantes clés de l’organisation du travail.
- Évaluation des gestionnaires : Adoption de pratiques de gestion favorables à la santé, incluant soutien social, reconnaissance, gestion rapide des conflits, autonomie, consultation et participation, communication.
Sources :
BRUN J. P. (2004). La santé psychologique au travail… de la définition du problème aux solutions. Faire cesser le problème. La prévention du stress au travail, Chaire en gestion de la santé et de la sécurité du travail dans les organisations.
BUREAU INTERNATIONAL DU TRAVAIL (2012). Solve : Intégrer la promotion de la santé dans les politiques de sécurité et santé au travail.
Groupe interdisciplinaire de recherche sur l’organisation et la santé au travail (2009). Guide de pratiques organisationnelles favorables à la santé au travail.
Ensemble, agissons et exigeons la prévention!
Quelles que soient les bulles que vous aurez choisi de consulter concernant les risques psychosociaux présentés, il est important de s’approprier les outils qui peuvent soutenir la prise en charge de votre santé et de votre sécurité au travail.
Tant l’application de la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail (LMRSST), qui considère les professionnelles en soins enfin comme un groupe prioritaire, que la Loi visant à prévenir et à combattre le harcèlement psychologique et la violence à caractère sexuel en milieu de travail nous octroient des opportunités d’action qui ne sont plus juste du ressort des employeurs.
La création de responsables en santé et sécurité en vertu de la LMRSST permettra notamment aux professionnelles en soins d’agir en prévention avec leurs connaissances concrètes du milieu de travail et de ses risques inhérents. C’est un pas important en matière de prévention.
Ainsi, la hausse des lésions professionnelles dans le réseau a mené à des changements législatifs que nous devons saisir comme des leviers pour agir et améliorer l’environnement de travail de toutes les professionnelles en soins du réseau de la santé.
Sur le terrain, les problèmes que vivent les professionnelles en soins relèvent souvent de la SST. Nous avons choisi de traiter plus particulièrement :
- Des longues heures de travail
- Du travail en sous-effectif
- De la violence au travail
La Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST) offre un cadre pour mener les travaux en prévention des risques.
L’objectif de la loi est « l’élimination à la source même des dangers pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique et psychique des travailleurs ». En prévention, on ne peut donc pas se limiter à des mesures d’atténuation ou de compensation du risque. Dans la pratique, il faut suivre cette hiérarchie des moyens de préventions.
La LSST précise les obligations générales de l’employeur. L’employeur a notamment l’obligation de :
- 3° s’assurer que l’organisation du travail et les méthodes et techniques utilisées pour l’accomplir sont sécuritaires et ne portent pas atteinte à la santé du travailleur;
(…) - 5° utiliser les méthodes et techniques visant à identifier, contrôler et éliminer les risques pouvant affecter la santé et la sécurité du travailleur;
(…) - 9° informer adéquatement le travailleur sur les risques reliés à son travail et lui assurer la formation, l’entraînement et la supervision appropriés afin de faire en sorte que le travailleur ait l’habileté et les connaissances requises pour accomplir de façon sécuritaire le travail qui lui est confié;
(…) - 16° prendre les mesures pour assurer la protection du travailleur exposé sur les lieux de travail à une situation de violence physique ou psychologique, incluant la violence conjugale, familiale ou à caractère sexuel. (…)
La LSST prévoit aussi que les travailleuses ont une obligation de « participer à l’identification et à l’élimination des risques d’accidents du travail et de maladies professionnelles sur le lieu de travail ». En SST, la voix des professionnelles en soins doit donc être entendue!
Traiter des problèmes dans le cadre d’une démarche de prévention en SST nous oblige à faire preuve de proactivité, de collaboration et de diligence. Autrement dit : on ne peut pas se traîner les pieds!
Les longues heures de travail
Sans surprise, plusieurs risques à la SST sont associés à de longues heures de travail. D’ailleurs, le fait d’accumuler plusieurs heures en temps supplémentaire, même volontairement, comporte aussi son lot de risques.
Les longues heures de travail entraînent une importante fatigue chez les professionnelles en soins. Cette fatigue est un risque à la santé et à la sécurité. En 2019, la FIQ a produit un document sur la prévention de la fatigue.
- Selon une étude de 2014, 32 % du personnel de la santé ne dort pas suffisamment (Caruso, 2014).
- Une période de 21 heures sans sommeil équivaut à un taux d’alcoolémie de 0,08 et une période de 24 à 25 heures sans sommeil équivaut à un taux d’alcoolémie de 0,10.
On comprend que les longues heures de travail, plus qu’un simple inconvénient, peuvent constituer un risque important à la SST!
La fatigue affecte d’ailleurs négativement :
- Notre fonctionnement physique et mental
- Notre jugement et notre concentration, accentuant la prise de risques
- Notre motivation
- Notre temps de réaction
Une fatigue importante se traduit par une augmentation des probabilités de subir un accident de travail. Prendre en charge la fatigue, c’est donc réduire l’ensemble des autres risques à la SST.
Pour les professionnelles en soins, savoir reconnaître certains signes de la fatigue est essentiel pour mettre leurs limites. Les signes les plus évidents sont :
- Une efficacité et une performance diminuées
- Un relâchement de l’attention
- Une augmentation des erreurs d’omission
- Des bâillements et de l’endormissement
- Une sensation d’épuisement et l’irritabilité
La conciliation vie personnelle-travail constitue un autre enjeu SST majeur, accentué par les longues heures de travail. Il s’agit d’une dimension importante du climat de sécurité psychosociale dans l’organisation. Une incapacité pour les travailleuses de concilier ces deux sphères de vie peut se traduire en risque pour la santé.
Une étude menée auprès de travailleuses de la santé durant la seconde vague de la COVID-19 révèle que près du quart des répondantes trouvaient difficile de concilier obligations personnelles et professionnelles. Par ailleurs, le risque de vivre de la détresse psychologique est plus élevé chez les travailleuses qui peinent à maintenir un équilibre entre la vie personnelle et professionnelle. Les impacts négatifs sur la santé d’une difficile conciliation vie personnelle-travail s’expliquent notamment par le fait que ces personnes feraient face à des exigences élevées dans ce double rôle et auraient un nombre d’heures de loisirs et de repos insuffisant. Ceci peut entraîner de la détresse psychologique, des symptômes dépressifs et du présentéisme.
Le travail en sous-effectif
Le travail en sous-effectif est une réalité pour un grand nombre de professionnelles en soins. Il s’agit d’un phénomène causé par la pénurie de bonnes conditions de travail qui génère la pénurie de professionnelles en soins.
La surcharge de travail est un autre élément pouvant comporter des risques à la SST. Selon l’INSPQ, la charge de travail réfère à la quantité de travail à accomplir, aux exigences intellectuelles requises et aux contraintes de temps à respecter. Il va de soi que la charge de travail augmente en présence d’une équipe de soins incomplète.
Une pression constante vers l’intensification du travail se manifeste. Dans nos milieux de soins, le processus d’intensification est en partie causé par le manque de ressources investies par l’État dans les services publics. Cette pénurie de ressources entraîne l’intensification du travail et amène les employeurs à adopter des modes d’organisation du travail plus contraignants et exigeants pour les professionnelles en soins.
L’objectif est de toujours faire plus avec moins. La méthode Lean en est un exemple. À travers l’intensification du travail, l’accroissement de la pression pour atteindre des objectifs irréalistes peut mener à un mal-être au travail et à la détresse chez les professionnelles en soins. La surcharge de travail a une influence sur la santé. Des liens sont d’ailleurs démontrés entre la surcharge de travail et les maladies mentales, musculosquelettiques et cardiovasculaires.
En matière de charge de travail, il faut aussi considérer la notion de « complexité » du travail. Les professionnelles en soins, en plus d’avoir à travailler rapidement et en sous-effectif, doivent exercer simultanément des fonctions extrêmement complexes (préparer des médicaments, répondre à des demandes des usager-ère-s et de leurs familles, réviser et rédiger des notes, réaliser des examens et des évaluations, etc.).
Les facteurs suivants peuvent accroître la surcharge de travail (intensité et complexité) dans les milieux de soins :
- Contrainte de rythme/objectifs : l’employeur exige que les professionnelles en soins prennent en charge un certain nombre d’usager-ère-s et complètent un certain nombre de soins dans un temps imparti, le tout sans allouer les ressources suffisantes pour accomplir sécuritairement l’ensemble des tâches.
- Lourdes responsabilités : la responsabilité de donner des soins est lourde à porter; les erreurs peuvent avoir des conséquences importantes sur la santé des usager-ère-s.
- Instructions contradictoires : les directives des employeurs, le code de déontologie, les demandes des usager-ère-s et la collaboration avec les médecins sont autant d’éléments pouvant occasionner des demandes et des instructions contradictoires. Par exemple : on demande aux professionnelles en soins de prodiguer des soins de qualité sans leur allouer les ressources pour le faire; on leur demande de prioriser les soins à donner dans un contexte de surcharge alors qu’ailleurs, les employeurs infligent des mesures disciplinaires et administratives pour des soins non faits. Souvent, les professionnelles en soins se retrouvent prises entre l’arbre et l’écorce.
Le travail en sous-effectif peut aussi générer des conflits de valeurs chez les professionnelles en soins. Les conflits de valeurs peuvent être exacerbés non seulement par le travail en sous-effectif, mais aussi par les longues heures de travail. Ces conflits se déclenchent lorsque la volonté d’offrir des soins de qualité se heurte au manque de ressources disponibles pour offrir ces soins. La professionnelle en soins doit alors agir en contradiction avec ses valeurs. En 2017, la FIQ a produit un document sur la prévention de la détresse morale qui reprend plusieurs éléments de la notion de conflit de valeurs.
Ces conflits constituent un risque à la santé psychologique. Pour les professionnelles en soins, dont l’identité professionnelle et l’expertise reposent sur la capacité à prodiguer des soins, les conflits de valeurs peuvent être particulièrement difficiles à vivre. Le conflit de valeurs est un risque avec lequel composent les professionnelles en soins depuis longtemps. Par exemple, le conflit de valeurs était l’un des facteurs accentuant la détresse psychologique des travailleuses de la santé durant la seconde vague de la COVID-19.
Les professionnelles en soins exposées aux conflits de valeurs sur une longue période peuvent en venir à adopter des comportements néfastes pour elles-mêmes, leur santé et leur sécurité :
- L’hyperactivité pour compenser le manque de temps et de ressources : peut engendrer de l’épuisement
- Le cynisme pour se détacher émotionnellement du conflit de valeurs qui les affecte : peut engendrer de la détresse et des comportements négatifs au sein de l’équipe de soins
Finalement, le travail en sous-effectif, à l’instar des longues heures de travail, peut contribuer à l’apparition de troubles musculosquelettiques. La charge de travail et le stress entraînent des réactions comportementales chez les professionnelles en soins pour faire face à ce stress. Ce sont ces réactions comportementales qui peuvent favoriser l’apparition de TMS :
- Le manque de temps oblige les professionnelles en soins à réaliser certaines tâches sans prendre les précautions nécessaires (par exemple, appliquer le PDSP), ce qui peut engendrer des risques de développer des TMS
- Les facteurs de risques psychosociaux peuvent amener les travailleuses à adopter un mode de vie plus sédentaire et moins sain, ce qui les rend plus vulnérables aux TMS
- La charge de travail contraint les professionnelles en soins à omettre leurs pauses, empêchant ainsi le repos et la récupération, ce qui entraîne le développement de TMS
- Le stress entraîne une contraction involontaire des muscles qui peut contribuer au développement de TMS
La violence au travail
Dans le milieu de la santé où évoluent les professionnelles en soins, la violence est souvent banalisée. Pour certaines, la violence fait même « partie du métier ». S’il est vrai que prodiguer des soins à des personnes vulnérables peut exposer les professionnelles en soins à des risques d’agressions, cela ne signifie pas que la violence doit être normalisée. Au contraire, la violence est un risque à la SST à part entière et, comme pour les autres risques, il est primordial de travailler à éliminer ou à réduire le risque à la source. D’ailleurs, le jugement clinique que peuvent porter les professionnelles en soins est fondamental pour bien identifier les risques de violence provenant des usager-ère-s.
Selon l’Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail du secteur affaires sociales (ASSTSAS), les conséquences possibles de l’incivilité sur la santé sont les suivantes :
Adoption de comportements
d’incivilité (pour rendre la pareille)
Augmentation du doute de soi,
de la passivité
Augmentation des
émotions négatives
Diminution de la capacité à récupérer après une journée de travail
Diminution de la satisfaction
au travail
Augmentation de la détresse et
diminution du bien-être
Augmentation de
l’intention de quitter
Diminution de l’engagement et
de la prestation au travail
Augmentation du risque
d’épuisement professionnel
L’inconfort et la contrainte thermique sont des enjeux sérieux auxquels sont confrontées les professionnelles en soins dans plusieurs milieux de travail. En cas d’éclosion, la chaleur ajoute nécessairement son lot de difficultés supplémentaires.
Voici une série de moyens permettant de minimiser les risques et les inconforts que représente la chaleur dans vos milieux de travail. La meilleure manière de mettre en place ces moyens réside dans l’action collective des professionnelles en soins elles-mêmes. N’hésitez pas à contacter votre équipe syndicale pour vous accompagner et agir collectivement.
En contexte d’éclosion d’un bioaérosol
Durant la période estivale, il est d’usage d’ouvrir les fenêtres pour permettre une ventilation naturelle lorsque la température extérieure est plus fraîche que la température intérieure. Cependant, il est recommandé de :
Vérifier avec le service de prévention et contrôle des infections (PCI).
Ce type de pratique peut poser des risques particuliers étant donné les courants d’air générés et la transmission aérosol en question. Une vérification doit être effectuée avant de procéder à l’installation de ventilateurs, de climatiseurs ou de déshumidificateurs.
Le port prolongé des ÉPI peut compliquer l’hydratation et réduire la capacité du corps humaine à réguler sa température. Dans ce contexte, la FIQ croit qu’il est de la responsabilité de l’employeur de prévoir une organisation du travail assurant la sécurité des professionnelles en soins. Ce dernier peut :
- Augmenter le nombre de pauses,
- Octroyer le temps nécessaire pour s’hydrater
- Réduire la charge de travail.
Ce que devraient prévoir les employeurs
- Dans le respect des règles PCI, si possible, climatiser le milieu de travail ou une section de celui-ci (climatisation centrale, climatisation portative, ventilateur).
- Prévoir des moyens de limiter l’entrée des rayons de soleil dans le milieu de travail et laisser les fenêtres fermées lorsque la température extérieure est plus élevée que celle de l’intérieur.
- Limiter l’utilisation d’appareils ou d’équipements émettant de la chaleur.
- Faire réellement l’exercice paritaire de penser une organisation du travail permettant de travailler en sécurité à la chaleur.
- Prendre les moyens nécessaires pour sensibiliser et former sur les risques associés à la chaleur, sur les symptômes associés aux coups de chaleur et sur les stratégies à déployer pour éliminer ou réduire ces risques.
- Rendre disponible un endroit frais et aéré pour permettre de prendre des pauses dans un environnement reposant et tempéré.
- Revoir l’organisation du travail pour permettre de prendre des micropauses et des pauses supplémentaires en situation de chaleur. Selon un sondage réalisé par l’ASSTSAS, 83 % des établissements sondés déploieraient des mesures d’alternance travail-repos.
- Revoir l’organisation du travail pour réduire le rythme et l’intensité du travail. Par exemple, en réservant les tâches les plus exigeantes pour les périodes plus fraîches ou en bonifiant la composition des équipes de travail (ex. : ajout de professionnelles en soins pour couvrir les périodes de pauses ou ajout de personnel auxiliaire). Selon un sondage réalisé par l’ASSTSAS, 83 % des établissements affirment mettre en place un allègement de la charge de travail.
- Permettre un accès en tout temps à de l’eau fraîche et organiser le travail de façon à pouvoir s’hydrater aussi souvent que nécessaire. C’est un enjeu délicat, surtout en contexte de surcharge de travail (manque de temps pour s’hydrater) et de port d’ÉPI.
- Former adéquatement sur les ÉPI pour permettre de s’hydrater de manière sécuritaire sans s’autocontaminer.
- Rendre disponibles des ÉPI rafraîchissants (bandeau ou collier rafraîchissant). Ces ÉPI devraient être pour usage personnel et non échangé entre les professionnelles en soins.
- Permettre des accommodements aux professionnelles en soins plus vulnérables à la chaleur dans un contexte de situation médicale ou personnelle particulière. Ces facteurs personnels peuvent être par exemple la prise de certains médicaments, des antécédents de coups de chaleur, l’occurrence du temps supplémentaire (TS ou TSO), une certaine condition physique ou médicale, etc.
- Évaluer la possibilité de déployer des stratégies auxiliaires pour diminuer l’inconfort des masques N95 qui peut être exacerbé par la chaleur. Par exemple, l’ajout de lignes autocollantes sous le masque (si elles ne compromettent pas l’étanchéité) ou l’utilisation de certaines crèmes hydratantes peuvent aussi être envisagés.
Ce que vous devriez prévoir
Boire 250 ml d’eau fraîche toutes les 20 minutes. Plus si vous répondez aux critères énoncés dans la charte proposée par la CNESST. Jamais plus de 1,5 litre d’eau à l’heure.
Favoriser les repas légers et frais.
Discuter avec vos collègues et contacter votre équipe syndicale si l’inconfort ou la contrainte thermique ne sont pas des enjeux pris en charge sérieusement par l’employeur. Aider l’employeur et votre équipe syndicale à identifier les risques et les moyens de les minimiser.
Aviser immédiatement un-e représentant-e de l’employeur, puis cesser de travailler en cas de symptômes de coups de chaleur ou annonçant un coup de chaleur : absence de transpiration, peau chaude et sèche, propos incohérent, perte d’équilibre, somnolence, nausée, perte de conscience, convulsion. Si vous observez ces symptômes chez une collègue, avisez immédiatement votre supérieur-e immédiat-e.
Important
La CNESST propose une méthode pour mesurer la chaleur sur un milieu de travail et adapter le travail en fonction du danger. Selon le niveau de chaleur et l’intensité du travail, une certaine fréquence d’hydratation et de repos est proposée. La mesure de la chaleur et la détermination des actions à entreprendre doit tenir compte :
- De l’humidité relative. Le taux d’humidité relative d’un bâtiment de soins de santé devrait se situer généralement entre 30 à 60 %;
- Des équipements de protection individuelle portée. Les équipements imperméables ou laissant peut échapper la sueur augmentent les contraintes thermiques (blouse, gants, masque, visière);
- Des efforts réalisés. Règle générale, travailler assis ou debout en réalisant des activités légères (ex. : prise de signes vitaux) est considéré du travail léger. Travailler debout dans un rythme soutenu en effectuant des tâches plus exigeantes (ex. : soins d’hygiène ou mobilisation de patient-e-s) constitue du travail d’intensité moyenne.
Lorsque vous travaillez dans un environnement atteignant une certaine température, vous devez appliquer les recommandations de la CNESST et l’employeur doit vous le permettre. En cas de problème, consultez immédiatement votre équipe syndicale.
Pour appliquer l’échelle de chaleur de la CNESST, la prise de la température devrait se faire :
- Avec un thermomètre et un hygromètre;
- Paritairement avec le syndicat au moment de prendre la mesure;
- À une fréquence convenue avec le syndicat;
- De manière à consigner le résultat dans un registre.