Déterminants sociaux de la santé
Nous ne sommes pas toutes égales devant la maladie, et la pandémie de COVID-19 a mis en lumière cette triste réalité. Dès les premiers jours, les professionnelles en soins ont rapidement constaté les impacts concrets des facteurs sociaux et économiques sur la santé de la population.
Genre
Les femmes ont été particulièrement touchées par la pandémie. Représentant plus de 80 % du personnel en santé et environ 90 % des professionnelles en soins, elles ont dû adapter leur pratique professionnelle au quotidien, selon les différentes vagues de la pandémie. En plus de créer une surcharge de travail importante et une désorganisation de leur horaire, la pandémie a aussi obligé les femmes a travaillé encore davantage dans l’ombre à la maison, que ce soit pour s’occuper des enfants ou de leurs proches, puisque ce sont elles qui portent encore principalement le fardeau de la charge mentale et qui sont le plus appelées à offrir du soutien émotif. Cette réalité s’est accentuée en raison de la fermeture des services de garde et des établissements scolaires, mais aussi des normes de distanciation à respecter et des risques de contamination.
Malheureusement, le confinement et l’isolement lié aux mesures sanitaires a aussi eu un impact considérable sur la violence conjugale et les féminicides, les femmes étant moins aptes à quitter leur environnement violent dans un contexte d’instabilité sociale, sanitaire et économique.
Femmes racisées
Les impacts de la pandémie ont été bien différents selon les personnes et communautés affectées. La direction de la Santé publique de Montréal estime que le taux d’infection à la COVID-19 était environ 1,6 fois plus élevé dans les secteurs où la proportion de personnes désignés « minorités visibles » est la plus grande. Ces quartiers ont fait face à des éclosions importantes, entre autres parce qu’ils sont le lieu de résidence de plusieurs professionnelles en soins et de travailleuses et travailleurs essentiels. En effet, les femmes racisées représentent une part importante des travailleuses du réseau de la santé canadien. Par exemple, en première ligne en santé au Canada, les femmes noires et philippines, notamment, sont surreprésentées par rapport à d’autres professions et emplois, et la population noire était surexposée au virus dans le cadre du travail. De plus, l’offre de soins n’est pas toujours adaptée aux caractéristiques et aux besoins des personnes racisées, ce qui contribue aux difficultés d’accès aux soins de santé.
Je suis infirmière pour le CISSS depuis à peine deux ans. Donc je suis sujette à être déplacée dans les premières, considérant mon peu d’ancienneté. Je n’ai aucun problème à changer de département. Mon gros problème est de changer de quart de travail. Je suis une maman monoparentale qui a la garde exclusive de ses deux enfants. J’ai un petit réseau de soutien, qui comprend ma mère et mon frère. Ma mère a 63 ans et souffre de plusieurs maladies chroniques. Elle a elle-même été retirée de son milieu pour sa sécurité. Alors il est hors de question que je demande à ma mère de se mettre à risque pour garder mes enfants.
CISSS de Chaudière-Appalaches, 4 mai 2020
Inégalités socioéconomiques
Le revenu est le déterminant social le plus important en santé puisqu’il influence l’ensemble des choix quotidiens et des habitudes de vie d’une personne. Sans surprise, les quartiers défavorisés ont été les plus affectés par la pandémie, notamment en raison de la forte densité de population, du manque d’espaces verts et de la grande utilisation du transport collectif, où se regroupent un grand nombre de personnes. À cela s’ajoute la crise du logement qui a un impact considérable sur les personnes à faible revenu, et qui peut entrainer un surpeuplement dans les logements. Il faut aussi noter que plusieurs emplois précaires ont été mis en pause durant la pandémie, alors que d’autres travailleuses et travailleurs se trouvaient dans une situation d’emploi à fort risque de propagation, sans équipement de protection adéquat. La pandémie a ainsi entraîné des pertes de revenus dans plusieurs familles et exacerbé l’insécurité alimentaire pour plusieurs ménages québécois. La demande d’aide alimentaire a augmenté de 33% entre 2019 et 2022.
La qualité des soins prend un sérieux coup dû au manque de personnel. Le nombre de chutes est de 3 à 5 fois plus élevé que la normale, qui est déjà haute. Les plaies de pression réapparaissent et se détériorent. Les résidents sont déshydratés… on voit leur souffrance, mais on n’arrive simplement pas à répondre à leurs besoins.
Vigi Santé Ltée, 5 mai 2020
Dans les centres d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD), la pandémie a frappé de plein fouet le personnel, les patient-e-s et les familles. Ce fut choc collectif brutal : plus de 5 000 personnes ont péri en quelques mois, privées de leurs proches. Les CHSLD n’étaient pas sur le radar des autorités au début de la crise, qui avaient les yeux tournés vers les hôpitaux. Privatisation des soins aux aîné-e-s, manque de personnel, pénurie d’ÉPI et les lacunes antérieures des CHSLD expliquent ce drame, notamment. La FIQ a contribué activement aux réflexions et aux enquêtes à propos de cette tragédie, pour qu’elle ne se reproduise jamais. Un dossier spécial a été consacré à l’expertise et la vision des professionnelles en soins de ces milieux.
Santé et sécurité du travail (SST)
Dès le début de la pandémie, les différentes interventions de la FIQ ont sans cesse été guidées par l’importance du principe de précaution comme socle d’une réelle stratégie de prévention et de gestion de crise. Constatant l’inaction de la CNESST, la FIQ a été la première organisation syndicale à déposer des recours juridiques afin d’assurer la protection de la santé et de la sécurité des professionnelles en soins. La FIQ a aussi dénoncé le fait que les consignes émises par l’INSPQ concernant l’isolement requis des professionnelles en soins infectées respectent davantage le souhait du gouvernement de réduire l’absentéisme en période de pénurie que la nécessité de protéger les travailleuses et les patients-es contre la maladie.
Dans de nombreuses régions du Québec, les recours ont permis de rectifier des situations dangereuses liées notamment à la disponibilité des équipements de protection, au respect des différentes zones, aux risques psychosociaux de la surcharge de travail en contexte pandémique et à ceux du syndrome post-COVID.
Je suis travailleuse enceinte. Je rentre travailler à tous les jours en pleurant car je sais que je ne peux pas protéger mon enfant et moi. Je tremble en finissant de travailler dans mon auto pendant une heure. Je suis anxieuse à l’idée de savoir si j’ai attrapé la COVID-19, car je ne suis pas protégée.
CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal, 29 mars 2020
Des déplacements des équipes volantes
Passer d’un étage à l’atre d’un hôpital ou d’un CHSLD, voire d’un bâtiment à un autre, voilà une recette pour propager le virus aux patients les plus vulnérables et risquer de se contaminer soi-même ou sa famille. Or, c’est exactement ce que choisit de faire le gouvernement au début de la crise avec le déplacement à outrance des professionnelles en soins, dont la convention collective est suspendue, et la mise sur pied d’équipes volants. Le FIQ réclame au contraire la création d’équipe dédiées et insiste sur la formation et l’orientation des professionnelles en soins qui arrivent dans un nouveau milieu de soins.
Équipements de protection individuelle (ÉPI)
Si le gouvernement assure en conférence de presse que les équipements de protection individuelle (ÉPI) comme les masques, les jaquettes, les gants et le matériel de désinfection est accessible partout où il est nécessaire, force est de constater que ce n’est absolument pas l’expérience vécue par les professionnelles en soins sur le terrain. Au contraire, il manque de tout partout et des mesures drastiques sont prises pour limiter l’utilisation du matériel. Il faudra plusieurs semaines et la multiplication des témoignages dans les médias et sur le site Je dénonce pour que le gouvernement admette la pénurie et sécurise l’approvisionnement.
L’entente COVID conclue à la fin mars comprend aussi des obligations pour les employeurs de fournir les ÉPI nécessaires ainsi que le respect des règles de protection.
La bataille des masques N-95
À l’automne 2020, le Directeur de la santé publique limite le port des masques N95. Devant la combativité de la FIQ et de ses membres dans le dossier, le gouvernement retire cette ordonnance en février 2021. Quelques semaines plus tard, la FIQ obtient une victoire décisive devant le Tribunal administratif du travail, qui reconnaît la transmission par aérosols de la COVID-19 et ordonne aux employeurs de fournir des masques N95 aux professionnelles en soins qui œuvrent auprès de patient-e-s atteint-e-s ou suspecté-e-s d’être atteint-e-s de la COVID-19. La création d’équipes de soins dédiées est aussi ordonnée. Cette décision a rétabli le dialogue avec la CNESST, qui a alors exercé son rôle de règlementation pour la première fois depuis le début de la crise.
Luttes syndicales et respect de droits
Durant la crise, la gestion par arrêtés ministériels, sans égards à la conciliation entre le travail, la famille et la vie personnelle, a eu des effets dévastateurs sur les conditions de travail des professionnelles en soins, en plus d’accélérer leur épuisement et l’exode du personnel.
Entente COVID
Le 30 mars 2020, la FIQ conclut une entente particulière concernant les mesures à respecter dans le cadre de l’état d’urgence lié à la pandémie. Cette entente obligera les employeurs à fournir des équipements de protection et des uniformes, à réaffecter les travailleuses enceintes, immunosupprimées ou encore âgées de plus de 70 ans et à compenser certains frais de déplacements, de repas et de garde d’enfants.
Un comité de relations de travail dédié aux problématiques liées à la COVID-19 a aussi été mis sur pied et a traité de sujets tels que l’accès aux EPI, le paiement de primes, le déplacement des professionnelles en soins, l’établissement de zones froides, tièdes et chaudes, l’accès au dépistage et à la vaccination, le droit aux congés et le recours à la main-d’œuvre indépendante.
Gestion par arrêtés/suspension de la CC
L’arrêté ministériel le plus important, le 2020-007, qui suspendait la convention collective et contenait des moyens d’exception utilisés de manière abusive, a notamment été contesté devant les tribunaux, tout comme l’arrêté 2021-085, qui démontrait la mauvaise foi du gouvernement dans le processus de négociation collective qui se déroulait au moment de la pandémie.
Changements de pratiques syndicales (AG en ligne, cartes de membre, référendum)
Les nombreux confinements ont rendu nécessaire l’adaptation des pratiques afin de garantir la démocratie syndicale. Assemblées générales virtuelles, cartes de membre électronique et référendums en ligne sont tous des outils développés durant la pandémie qui continuent de dynamiser la vie syndicale et d’assurer la participation du plus grand nombre. La FIQ et ses syndicats affiliés ont été des précurseurs dans l’utilisation du Web et des médias sociaux pour communiquer avec les membres et le grand public.
Nous avons 10 jaquettes jetables pour faire 16 h de travail. Et pas de masques N95 pour tous, il manquait des grandeurs. On nous demande alors de mettre des masques expirés. […] L’anxiété est palpable sur l’unité, les filles ont peur et plusieurs disent qu’elles vont démissionner si ça devient un risque pour nos familles et nous. On ne se sent pas protégées.
CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec, 30 mars 2020
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Sachant que la consigne est de côtoyer le moins de gens possible, ce que je respecte lorsque je suis en congé, mon employeur me demande exactement le contraire. De plus, chaque jour, je devrai travailler avec le sentiment de stress que je suis ou je serai moi-même le vecteur de ce virus. Ma demande est simple: stabiliser le personnel soignant dans un seul établissement le temps de la crise.
CIUSSS de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec, 30 mars 2020
Je trouve ça difficile d’être infirmière en ce temps de COVID, de peut-être dire adieu à toutes nos conventions, d’être au front de ce combat contre la COVID sans avoir de conditions de travail acceptables en retour. Il est temps que ça change, « les mots ne suffisent plus ». Être infirmière en ce temps de COVID-19, c’est s’éloigner et s’isoler pour protéger ceux qu’on aime afin de prendre soin de vous, la société, et de vos êtres chers. Être infirmière en ce temps de COVID-19, c’est vivre dans la peur, à chaque quart de travail. Être infirmière en ce temps de COVID-19, c’est vouloir, nous aussi, sentir que nous sommes protégées.
CIUSSS de l’Estrie – Centre Hosp. Univ. de Sherbrooke, 31 mars 2020
Ne plus refaire les mêmes erreurs
Plusieurs leçons doivent être tirées de la pandémie de COVID-19 . En effet, les études sur les risques de nouvelles pandémies démontrent clairement que les populations seront de plus en plus affectées par cette triste réalité. Avec les changements climatiques, la déforestation et la diminution des habitats naturels de plusieurs espèces, il est estimé, selon une étude de Nature, que, d’ici 2070, nous ferons face à près de 15 000 passages d’un virus d’une espèce animale à l’espèce humaine. Comme société, il demeure essentiel d’être préparée à cette éventualité et d’agir en conséquence.
Ratios sécuritaires et équipes de soins
L’adoption d’une loi sur les ratios sécuritaires professionnelles en soins – patient-e-s permettrait d’éviter de nombreux problèmes vécus lors de la pandémie de COVID-19. Actuellement, les équipes de soins surchargées doivent faire des choix déchirants et prioriser certains soins en raison du manque de personnel, ce qui a malheureusement des conséquences sur la santé des patient-e-s mais aussi sur l’efficacité du réseau de la santé.
En organisant le travail autour d’équipes de soins stables, il est possible de limiter les risques de transmission de virus dans les milieux de soins. Aussi, la connaissance du milieu de soins et des procédures en place est essentielle pour assurer des soins sécuritaires et adaptés à la condition des patient-e-s. En CHSLD, par exemple, cette stabilité est bénéfique puisqu’elle permet aux professionnelles en soins de développer des liens de proximité avec leurs patient-e-s et leurs proches, ce qui contribue à offrir des soins humains et respectueux de la dignité des personnes aînées.
En plus de réduire la charge de travail et de prévenir l’épuisement des professionnelles en soins, de nombreuses études démontrent que l’implantation de ratios sécuritaires contribue à aussi attirer et à retenir la main-d’œuvre dans le réseau public, et d’ainsi contrer l’exode des professionnelles en soins.
Prévention
La pandémie a montré le peu de préparation du gouvernement et des employeurs du réseau devant une augmentation rapide du nombre de personnes malades, comme ce fut le cas en 2020. Adopter le principe de précaution, miser sur des mesures sanitaires cohérentes, avoir des équipements de protection individuelle en quantité suffisante, faciliter l’échange d’information en situation exceptionnelle et alléger la charge de travail afin que les professionnelles en soins puissent soigner sans risquer l’épuisement, voilà quelques mesures à mettre en place. La prévention et le contrôle des infections doivent aussi être renforcés dans les établissements.