Pénurie de main-d’œuvre ou pénurie de conditions attractives?
La « pénurie de main-d’œuvre » dans le réseau de la santé est souvent évoquée par le gouvernement pour expliquer les problèmes d’accès aux soins et justifier les multiples réformes, mais est-ce vraiment le cas? Serait-ce plutôt une crise du travail? La FIQ met en lumière cinq constats afin de jeter un regard critique sur les décisions politiques prises par le gouvernement-employeur. Ces décisions ont un impact sur le réseau de la santé et sur l’attraction et la rétention des professionnelles en soins.
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Pénurie de main-d’œuvre dans le réseau de la santé et des services sociaux
Constats
Les professionnelles en soins sont confrontées à des conditions de travail et d’exercice difficiles. Elles se retrouvent dans une spirale sournoise de crise du travail causée par les choix politiques du gouvernement (voir schéma ci-haut).
En 2022, la main-d’œuvre totale en santé et services sociaux des secteurs public et privé était 35 % plus nombreuse qu’en 1991, et ce, en tenant compte de l’accroissement de la population et de son vieillissement.* Pourtant, le gouvernement de cette époque qualifiait la situation de surplus de main-d’œuvre.**
Le gouvernement d’aujourd’hui se dédouane de ses choix politiques qui ont miné le réseau de la santé. Il prétend qu’il y a une pénurie de main-d’œuvre alors qu’elle est plus abondante qu’en 1991.
* Anne Plourde, Mythes et réalité de la pénurie de main-d’œuvre en santé et services sociaux au Québec, mai 2024, LaRISSS, IRIS, page 9.
** MSSS, Rapport du groupe de travail national sur les effectifs infirmiers, https://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/2022/22-945-03W.pdf, 2022, page 3.
La main-d’œuvre infirmière a augmenté de 8 % depuis 1992, et ce, en tenant compte de l’augmentation de la population.* Le président de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ), Luc Mathieu, cité dans un article dans Le Devoir, affirmait ceci : « On n’en a jamais eu autant au Québec. Depuis 10 ans, ça n’arrête pas d’augmenter »**. Si l’on compare le Québec aux autres provinces canadiennes, le ratio d’infirmières par habitant est généralement à l’avantage du Québec. Les dernières données de l’OIIQ indiquent que le Québec compte 7,74 infirmières par 1 000 habitants, se classant avantageusement par rapport à l’Ontario qui connaît un ratio de 6,37/1 000.***
* Anne Plourde, Mythes et réalité de la pénurie de main-d’œuvre en santé et services sociaux au Québec, mai 2024, LaRISSS, IRIS, page 10.
** Le Devoir (Lia Lévesque, La Presse canadienne), https://www.ledevoir.com/societe/sante/771830/il-n-y-a-jamais-eu-autant-d-infirmieres-au-quebec, 22 novembre 2022.
*** OIIQ, Rapport statistique sur l’effectif infirmier et la relève infirmière du Québec 2022-2023, https://www.oiiq.org/documents/20147/26586017/oiiq-rapport-statistique-23-VF.pdf/6f710838-6645-eef2-90f6-152b5400d34a#:~:text=En%202022%2D2023%2C%202%20423,lutte%20contre%20la%20COVID%2D19, page 16.
En tenant compte non seulement de l’augmentation, mais aussi du vieillissement de la population, on constate une réduction du nombre d’infirmières par rapport aux années 1990. Le Québec a affronté la pandémie, toutes proportions gardées, avec 13 % moins de main-d’œuvre infirmière qu’en 1992. Cette situation est exacerbée par le développement du secteur privé. En 1992, 85 % des infirmières travaillaient dans le réseau public alors qu’en 2022, c’est seulement 72 %.*
Davantage qu’une « pénurie de main-d’œuvre », le Québec vit un exode de la main-d’œuvre infirmière vers le secteur privé en raison des actions et des choix politiques du gouvernement.
*Anne Plourde, Mythes et réalité de la pénurie de main-d’œuvre en santé et services sociaux au Québec, mai 2024, LaRISSS, IRIS, page 10.
Considérant l’augmentation du nombre d’infirmières par 1 000 habitants, où sont les infirmières manquantes dans le réseau public?
- Au secteur privé parce qu’elles y gagnent plus cher et parce que la charge de travail y est moins intense.
- À temps partiel pour prévenir l’épuisement.
- En arrêt maladie à cause du climat toxique et de la surcharge de travail.
L’exode des infirmières est causé par l’intensité du travail. Ce n’est pas une « pénurie de main-d’œuvre ». La FIQ fait les mêmes constats pour toutes les professionnelles en soins infirmiers et cardiorespiratoires.
En se réfugiant derrière la supposée « pénurie de main-d’œuvre », le gouvernement cherche à se déresponsabiliser. Ne nous laissons pas berner!
Mettre fin à la crise du travail subie par les professionnelles en soins est possible. Les professionnelles en soins ont plusieurs solutions : stabiliser les équipes de soins, éliminer la surcharge de travail, respecter l’expertise, etc. Bref, il faut améliorer les conditions de travail et d’exercice. Cela passe par un investissement massif dans le réseau public de la santé et des services sociaux.